Non non je te rassure specimen, ton argumentation me parait toujours aussi absurde, je n'en démords pas. Le lien que tu tentes de faire entre la nécessité que je place à s'astreindre à cautionner jusqu'au bout l'acte de consommation de viande, c'est à dire en supportant pleinement la vue de l'acte d'anéantissement de la vie d'un vertébré supérieur (qui constituent la majorité des pièces carnées qu'on avale), et la nécessité d'avoir le savoir-faire pour le faire, cela m'apparait toujours, malgré tes explications agacées, comme un écran de fumée rhétorique tel, qu'effectivement il est difficile de trouver par quel bout le prendre, tant il n'a rien à voir avec la nécessité d'intégrité éthique que j'évoque au départ. Donc je conserverai l'usage de ces vocables qui te sont si difficile à souffrir, tant ils m'apparaissent à moi, humble petit penseur du soir, de raison ici : argumentation
absurde, tirée par les cheveux.
Ca n'est que mon avis, soit soit, nous voilà avancés.
Je fonde l'exigence d'empathie sur ma propre expérience sensorielle, car je me représente en pensée un monde où chacun se sentirait libre d'infliger cet acte de mise à mort d'autrui, autrui étant un animal quelconque, être humains compris. Mon expérience sensible préalable me fait réaliser que si cette liberté était offerte à chacun, j'en souffrirai considérablement, par l'annihilation de mes proches, et par l'éventualité de la mienne, à laquelle je demeure adverse. J'en conclus qu'il est nécessaire, entre être humains civilisés, de mettre à mort des bestioles ayant manifestement des expériences sensibles comparables à la nôtre, car nous leur infligeons manifestement une détresse que nous refusons de subir nous-mêmes.
Pour contrer ce développement, tu me réponds assez arbitrairement que puisque c'est comme ça je n'ai qu'à moi aussi posséder le savoir faire nécessaire à la fabrication de chacune de mes consommations. Tu m'excuseras de ne vraiment pas voir le rapport, et je subodore accessoirement qu'il n'y en ait aucun, mais passons.
A mon tour, pour me prêter au jeu d'une réponse, j'imagine en pensée un monde où chacun ne profiterait plus de la spécialisation des uns et des autres, et ne devrait compter que sur lui-même pour concevoir les objets qu'il consomme pour sa survie. J'aperçois donc par ce procédé un beau retour aux campagnes du moyen-âge et encore. Soit, et je constate que c'est une belle régression. Merveilleux exercice, qui ne m'a strictement rien appris au sujet du présent problème, consistant à trouver un critère moral suffisant pour cautionner la consommation de viande et donc l'anéantissement de l'animal qui lui est nécessairement préalable (car oui, "moral", nous emploierons ce terme, qui est adapté dans le présent débat, même si Spécimen s'y oppose).
A mon sens, ce que tu me rétorques n'a strictement rien à voir avec le problème que je pose, et relève de l'écran de fumée rhétorique arbitraire. Je ne vois pas le lien entre évaluation de la moralité de l'acte de tuer une bête sensible pour la bouffer, et évaluation de la présence du savoir-faire nécessaire pour ce faire chez moi. Exhibe-moi le lien de façon claire, et peut-être que la discussion avancera. Mais j'ai beau essayer, je ne vois pas à quel jeu tu te prêtes, si ce n'est celui de la diversion.
J'aimerais enfin une explication sur ce dernier point élaboré, à savoir qu'il serait fondamentalement sans objet de s'échiner à débattre de la moralité de tel ou tel acte. J'avoue ne pas comprendre, ou tomber des nues, c'est selon. Sur quoi ont porté les travaux de penseurs comme Kant, si ça n'est tenter de trouver des critères opérationnels et universels pour statuer sur le caractère "moral" ou autre de tel ou tel acte ? J'ai bien conscience d'avoir un bagage culturel trop faible pour parler de son oeuvre avec toute la technicité qui s'impose, mais voilà : de mon petit acquis de lycée, il m'avait bel et bien semblé qu'un gros gros morceau de son propos, c'était de trouver des façons d'arbitrer de façon définitive entre ce qu'on peut considérer comme un acte "moralement acceptable", et au contraire ce qui ne l'est pas. Et que l'une des principales pistes qu'il avait exhibé, c'était de voir si ledit acte réalisé par toute la multitude résultait en une expérience collective soutenable, ou bien à une complète déchirure du vivre-ensemble
Dès lors, on peut partir du prémisse que s'il demeure des choix échappant à tout critère de ce type (je pense que statuer sur le caractère moralement acceptable ou non de se curer le nez restera indécidable), dès lors que l'anéantissement d'une créature qui est adverse à sa propre détresse vitale est en jeu, j'intuite naïvement que là, par contre, on est tout à fait dans le champs de la question étudiée. Donc oui, à mon sens, sisisi, il y a clairement matière à formuler un avis sur le caractère moral ou non de consentir à l'abattage d'un animal sensible pour le bouffer. On ne peut pas se barricader derrière le fait de prétendre que d'aucun consentent à tuer des bêtes pour s'en nourrir, d'autres non, mais que toute évaluation de ces décisions dans une perspective autre que purement descriptive devient immédiatement vide de sens, car y échappant comme par enchantement. Donc je persiste : si, on peut discourir de l'acceptabilité morale de l'abattage des animaux pour s'en nourrir, cet acte n'est pas vide de conséquence pour un certain nombre d'acteurs ayant droit au chapitre dans le débat, puisqu'en premier lieu il a des répercussions pleines pour l'animal concerné, ainsi que pour les autres congénères humains qui doivent continuer à vivre dans le monde pollué par tout ce qui a été nécessaire à faire grandir ladite bête avant de la tuer.
J'aime de plus en plus ce débat, où l'air de rien on sent bien que pour tous les présents adversaires, l'expérience de la cueillette d'une salade mise en regard de celle de l'égorgement d'un animal suscite nettement moins d'impression de rejet, de dégoût ou de révolte, selon des critères intellectuels et sensibles en fait effectivement partagés par tous, mais où le parangon de mauvaise foi va jusqu'à développer une spéculation aboutie et sophistiquée sur la détresse collégialement ressentie par l'espèce "pommier" prise dans son entier lorsqu'on cueille le fruit "pomme", plutôt que de laisser choir à terre et éventuellement germer.
Harmodius a écrit :Crown Of Thorns a écrit :
Je ne trouve pas du tout l'argument hors sujet, au contraire. Je ne pense pas à la place de Manchette, mais j'imagine que ce qu'il veut dire, c'est qu'il faut être capable d'accepter en face jusqu'au bout le contenu "moral" de ce qu'on consomme. Et qu'à ce titre, accepter de manger de la viande tout en n'étant pas capable en face de l'animal vivant de l'abattre pour le bouffer, c'est faux-cul.
Je trouve cet argument d'une immense mauvaise foi. Il y a plein de métiers que je ne me sentirais pas capable de faire, et dont je suis pourtant bien content qu'ils existent. Croque-mort, médecin légiste, voire chirurgien...
Par ailleurs le contenu "moral" n'a rien à voir avec l'émotion ressentie devant un veau en train d'être tué. Le contenu moral c'est "c'est bien/c'est pas bien". Que je ne sois pas capable de soutenir la vue d'un animal en train d'être tué est indifférent au fait que par ailleurs, je trouve ça admissible ou non.
Il y a une totale confusion entre plusieurs choses. Je ne compare pas des métiers entre eux. Dans les contre-exemples que tu exhibes, la comparaison qui est appelée est celle du boucher, de l'équarisseur, face au croque-mort ou au chirurgien. Ca n'est absolument pas ce que j'évoque.
Ce que j'évoque, c'est la nécessité de souffrir la vue de ce qu'on inflige à autrui, pour s'en nourrir, ce qui appelle à l'expérience empathique d'expérimenter une détresse similaire, et constater si on trouve cela acceptable de l'infliger à d'autres.
Donc c'est formidable qu'il existe des médecins et des croque-morts qui exercent des métiers dont je concède immédiatement qu'ils amènent à être témoins de scènes difficiles. Ca ne désamorce pas du tout le propos que je soutiens, à savoir qu'avant d'infliger contre son gré quelque chose à animal, il est de bon ton de se le représenter intégralement, afin de voir si in fine on ne trouve pas ça en fait révoltant. Et je parle d'expérience : la vue de travaux de journalistes sur diverses formes d'élevage a été une motivation parmi d'autres de me détourner de la viande, tant cette expérience sensible m'a fait percevoir qu'infliger ça à des bêtes était quelque chose de cruel.
Donc je réfute également ta réfutation sur le "contenu moral" que j'évoque, et je persiste : la vue, comme expérience sensible, peut amener à assez d'empathie pour juger que décidément ce qu'on inflige est en fait inadmissible. Donc la vue comme premier pas vers la réévaluation de la moralité d'un acte, j'y reste attaché.