Le troisième album de Portishead : Third

La section des mélomanes mais aussi des fans de Farmer.
Olivier
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Message par Olivier »

Je suis tombé sur les chroniques de la blogothèque, elles sont extrêmement bien écrites et passionnantes:
01. Silence.

C'était à l'automne 2007. Dix ans exactement après la parution de Portishead, deuxième album du groupe. Rien n'était moins sûr, à part un nouveau La's et un prochain My Bloody Valentine, qu'un troisième album du groupe de Geoff Barrow l'homme qui, comme me le disait un jour un ami après le visionnage d'un documentaire sur le groupe, « est aussi intéressant qu'une brique de lait quand il parle mais, quand tu écoutes sa musique, pfiou ». Visite sur le myspace pour évaluer la plausibilité de la rumeur grossissante : il y aura un troisième album. Sur le player, une piste au nom bizarre, "Key bored 299 03". Pas de voix. Une rythmique assez classe, avec juste des accords joués au clavier, quasiment pendant six minutes sans variation. Ça, du Portishead ? Admettons. Il a un certain relief dans le son et dans les doubles-croches sur le tom basse. Il manque juste la voix de Beth Gibbons, la guitare d'Adrian Utley et la patte de Geoff Barrow. Des broutilles. La première écoute de Third, neuf mois plus tard ( ?) apportera tous les éléments manquants.

Que mes camarades de la blogo ne m'en veuillent pas. Ils chroniqueront après moi toutes les pistes de Third. Mais "Silence" le bien nommé (hommage volontaire à onze ans d'abstinence ?), premier morceau de l'album, contient en lui l'ADN du disque, son principe cardinal : Portishead fait du Portishead sans s'auto-parodier, sans même reprendre les choses là où il les avait laissées. C'est, d'emblée, le tempo le plus rapide de l'histoire des créateurs de Glory Box. Plus rêche, plus rythmique, plus saturé, le son du groupe ne s'est pas exactement modernisé, comme il me semble l'avoir entendu récemment. Il s'est bonifié, en prenant simplement des directions que Dummy et Portishead avaient éludées. Ce son nous dit que le savoir-faire et l'intégrité du trio de Bristol sont intacts, et quelque part assez fascinants vu les échecs artistiques fracassants que sont généralement ce genre de retour aux affaires. Il nous dit l'essentiel en somme.

Après une voix d'expression portugaise non identifiée et un accord de piano-bar, revoilà un genre de rythmique qui nous rappelle le mystérieux "Key bored 299 03", et bientôt des sons qui nous crachent à la gueule « Portishead is back » : une basse saturée, des larsens de guitares qui se bagarrent et menacent de tout faire déborder, une rythmique comme un cœur qui s'emballe, s'arrête puis repart, et une nappe de cordes au-dessus de la mêlée pour ''tenir'' l'ensemble. Basé sur l'alternance entre des couplets à l'ancienne, façon « Quand Beth chante, on l'écoute » (copyright, Garrincha), et ces explosions-là, "Silence" est une entrée en lice brillante, fracassante, le genre de morceau qui vous transforme un album en single : la tentation du replay est permanente. Comme "15 Step" de Radiohead (In Rainbows), "Hunter" de Björk (Homogenic) ou "Neighborhood #1 Tunnels" d'Arcade Fire (Funeral). Rien pour l'étouffer, à part une fin sans fade-out ni préavis. Rien qui ne nous empêche d'y revenir aussi sec, en dehors du besoin viscéral d'en avoir davantage, et tout de suite. Le point commun éternel de tous les très grands groupes. -(R.)

02. Hunter.

Ça y'est. Il vous ont mis par terre, sec, martiaux, presque un trop plein, et ils vous ont laissé là, avec un coup de lame bien sec, au beau milieu d'une montée de corde, d'une note de guitare saturée, et vous ne savez trop que penser.

Portishead va vous laisser 43 secondes de répit, rien de plus. Un petit son cristallin, un rythme sourd, on ne peut faire plus sourd, et puis un environnement familier, presque trop familier : un accord de guitare au loin, juste assez travaillé, patiné et répété pour qu'on le croie samplé, Beth tout en douceur, presque caressante, une autre guitare à l'avant, cristalline. Tout est doux, à la limite du confortable, on pourrait presque croire à une parodie de Portishead, on pourrait penser à du Goldfrapp.

Ce n'était qu'un trompe-l'œil, une arnaque. Nous avons passé la 44ème seconde, et Beth et les arpèges sont seuls. Le son sourd se fait plus oppressant, et arrive cette chose distordue, menaçante, qui rôde, grimace, menace. Cela ne dure rien, deux vers tout au plus, mais le mal est fait. C'est une contagion. Quand le calme revient, nous sommes inquiets, nous commençons à mal aimer ce son sourd qui reste là.

Et ça recommence, toujours la chose, et cette espèce d'alarme, c'est de pire en pire. Une caresse, une morsure, une caresse, une morsure. L'effet est inévitable, à peine les caresses ont-elles le temps de soulager la morsure d'avant qu'elles doivent s'effacer devant celles à venir. Ce qui semblait une douceur n'est qu'intranquilité. Portishead le confirme, il ne compte pas travailler le confort. -(C.)

03. Nylon Smile.

Paisiblement torturé, "Nylon Smile" s'érige en faux-semblant et nous plonge dans une léthargie inquiétante ; sous l'apparence d'un encéphalogramme régulier grondent des profondeurs de questions insolubles. En surface, pas un son plus haut que l'autre, rien qui ne laisse apparaître le drame qui se joue sous nos oreilles. Une ligne droite qui ondule à peine et dessine un horizon, vaste, figé et calme. Un horizon cependant peu à peu secoué par les flagellations verbales de Beth Gibbons. "Cause I don't know what I've done to deserve you and I don't know what I'll do without you." La question se détache alors de l'horizon et tournoie dans l'air avant de s'abattre à nouveau d'un coup sec sur le sol. L'opération se répète encore et la terre ainsi soulevée et projetée dans l'air obscurcit soudainement le ciel. L'horizon disparaît, le faux-semblant s'efface et révèle enfin clairement les profondeurs torturées d'une âme installée dans la détresse. Une folie sourde et invisible qui ronge une femme accablée par les remords et les questions insolubles. Un instantané qui prend fin dans un cri étouffé et abattu. Une prière autant qu'une lamentation.

Third est sans doute le premier vrai opéra rock du nouveau millénaire. Ambitieux, réfléchi, savamment construit, chaque morceau y dessine un nouveau drame, un nouveau tableau. L'articulation de ses différentes scènes, loin d'être livrée au hasard, assure la cohérence du tout. À l'excitation ("ils sont bien là !") et la stupeur (le plaisir y étant assassiné en plein vol) provoquée par "Silence" succède le phrasé narratif de "Hunter", qui rappelle les gloires passées tout en annonçant les remous à venir. Dans cette succession, "Nylon Smile" se distingue tout d'abord par sa rythmique (du Liars enrobé d'ouate) pour ensuite révéler toute sa subtile nature. Un chef-d'œuvre d'apparence, de cris chuchotés, ballottés dans un non-dit rythmique. Subtil, évidemment pervers, ce n'est certes pas le morceau que l'on retiendra, ce n'est sans doute pas celui dont on parlera, mais il synthétise à lui seule une bonne part du génie d'un groupe décidément majeur et définitivement impérial. -(aka).

04. The Rip.

Je suis "The Rip", frêle esquif, embarcation légère et presque irréelle, sur des flots sombres mais calmes, destination mystérieuse. Je vogue vers l'horizon, un voyage périlleux, un petit miracle de flottaison en soi, le délicat équilibre d'arpèges précieux d'une guitare acoustique et d'une voix qui mêle brisures et ressources insoupçonnées. Un folk minimal, fragile, en séquences répétées de petits instants de grâce…

Je suis Beth Gibbons, je chante à contre-courant de toutes les orthodoxies et je rendrais hystérique tout professeur de chant, mais je charme, la critique se tait, impuissante et consentante, une bienveillance coupable mais assumée. "[…] And the bitterness I felt […] Disappointed and sore […] And in my thoughts I have bled […]", je souffre mais le monde se délecte de mes douleurs, de mes amours tragiques et de mes blessures profondes. Je fuis alors, en quête d'un illusoire repos de l'âme…

Je suis "The Rip" et je vogue inexorablement, en rythme régulier. Je devrais disparaître à l'horizon, la terre est ronde dit-on. Je pourrais voguer ainsi de longues minutes, des heures, des jours entiers, je suis une barque menée par une sirène, on m'écoutera tout ce temps, c'est ainsi. Deux minutes ensorcelantes me suffiront pour quitter les eaux troubles du rivage, je mets les gaz pour rejoindre la haute mer. Synthé et batterie me rejoignent et répétitifs, suppléent mes forces, obéissantes rythmiques, dévouées à la tâche. Moteur ronronnant, familier et sécurisant, l'électronique obscure, lancinante et obsédante…

Je suis Portishead au complet désormais, une machine rodée, une mécanique implacable, une industrie redoutable d'efficacité. Je pourrais gagner n'importe quelle côte, aborder tout rivage et entraîner le monde dans mon sillage. Je progresse encore et m'arrête avant de franchir l'imaginaire frontière du grand large et soustraire à leurs vies ordinaires, marins hypnotisés ou enfants envoûtés. Sirènes et joueurs de flûte à Hamelin, je concentre de puissants et terribles pouvoirs…

Je suis "The Rip", je suis une fable de quatre minutes et trente-six secondes. Je suis une éternité…
(Rockoh).
Un conseil, écoutez les tracks en même temps que vous lisez les commentaires, c'est juste jouissif. Ces journalistes sont super forts!

Thom Yorke - The Eraser n'est officiellement plus mon album préféré du XXIème siècle... :D
edogawa
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Message par edogawa »

Ca donne sacrément envie tout ça! :D Du coup je commence à l'attendre avec impatience, cet album de Portishead.
Sinon tout le monde sait que le meilleur album du XXIe siècle est "Speakerboxxx/The Love Below" par Outkast, Olivier! 8) :wink:
Olivier
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Message par Olivier »

La suite est sortie, toujours sur la blogothèque:
05. Plastic.

"Plastic" comme le froid sans charme, mécanique et inerte jeté par une histoire qui n'a pas commencé mais qui a eu le temps de faire du mal.

"I wonder why…
I don't know what you see."

Beth livrée à elle-même, troublée et déçue, mais attirée, par on ne sait qui. On ne sait jamais qui lui a fait du mal à Beth, mais on lui dirait bien deux mots avec l'envie malsaine de le/la remercier de la jeter comme ça dans les sentiments épuisants, ceux qui tournent en boucle pendant des mois, ceux qui regardent l'autre se refaire.
Parce qu'on n'imagine pas Beth avancer sans souffrir et qu'on n'imagine pas Portishead avancer sans Beth.

Mais "Plastic" c'est la renaissance, un morceau qui se laisse tomber les yeux fermés, épuisés dès ses premières mesures, puis réussit à les rouvrir. Éclopé mais vivant à pleins poumons. La voix de lendemain de pleurs est poussée par un orgue lointain, tout branlant, qui ne fait que revenir hanter les silences. Au-dessus plane ce bruit d'hélico bizarre, si inattendu qu'on croirait un bug d'encodage à la première écoute ; comme toutes ces hachures dans le son, un peu partout comme des coups de couteau.
Third est plein de ces incertitudes sonores volontaires, de ces cicatrices qui lui donnent l'air d'avoir dormi dans la rue pendant dix ans. Et c'est le cas : ses basses compressées ont bouffé du dubstep, ses saccades ont avalé le hip-hop le plus abstrait, ses grondements électriques ont absorbé le drone le plus rugueux.

Retour au noyau de la bête. "Plastic" est un enfermement mental et Beth se bat contre ce moulin mécanique qui gronde avant de se faire à son tour balayer par des déflagrations électroniques carrément alarmistes, pressées par des basses monstrueuses… Le son monte très haut puis redescend, fait vibrer le corps entier, occupe tout l'espace disponible.
Tout au long de ce troisième album, Portishead raconte au passage à la génération mp3 tout ce qu'elle perd à n'écouter que des morceaux écrêtés, comme amputés, sans aigus ni basses extrêmes, sans ces fréquences presqu'inaudibles qui forment la masse du son, son peuple silencieux. Ce magma auquel ceux qui se souviennent d'avant Napster s'accrochent, ce n'est pas un délire d'arrière-garde, c'est un état de fait : la qualité sonore recule et c'est dommage. Créé par une bande de frappés de l'audio, Third est un disque d'une épaisseur maniaque, qui barde le spectre entier de sons amoureusement sculptés. Au cœur de toute cette noire beauté, cette qualité est finalement presque aussi importante que le chant de Beth Gibbons.
"Plastic" est en plein dans ce travail d'artisan : aucun son n'y est complètement naturel, aucun n'y est complètement mécanique. Quand la batterie s'éteint en plein roulement, on se prend en pleine face le travail de séquençage et de mixage pour la briser pile sur la tranche, là où elle fait mal parce qu'elle laisse un espace vide. "Plastic" est un drame banal vécu à travers le filtre de la technologie, une légère distorsion du réel qui trouble aussi la voix et la dénude encore face à la musique. Cette voix qui n'a jamais été aussi belle qu'en 2008.

Et la fin ? Beth ne se laissera pas mourir de chagrin, pas cette fois :

"On your stage
A show that you create
All by yourself
I am nowhere."

Elle est debout dans la bataille, la guitare acoustique d'Adrian Utley vient percer l'horizon encombré, elle crie, les cymbales cognent dur et l'alarme s'éteint sur les restes d'incertitudes. Ne reste que le plus dur : essayer de commencer autre chose.

Au sein de Third, "Plastic" est une montagne parmi d'autres, pas la plus escarpée (on laisse ça à "The Rip" et "Machine Gun"), mais chez beaucoup d'autres on appellerait un morceau comme ça une tuerie. (DJB)

06. We Carry On.

Je suis incapable de décrire précisément une chanson.
Je veux dire d'un point de vue érudit, à la manière experte d'un véritable musicien de formation : je ne peux pas vous décrire avec certitude quel instrument intervient à tel endroit (à part ceux de base, bien sûr), je ne fais pas la différence entre un si et un la, j'ai du mal à identifier certains effets, je ne suis toujours pas sûr de vraiment savoir ce qu'est un arpège…
Je suis incapable de décrire précisément une chanson (et je ne suis pas certain que ça ait toujours un véritable intérêt d'ailleurs) et cette incapacité se retrouve décuplée à l'infini devant la complexité, l'ambition et la démesure de n'importe quel morceau de Third.

Alors je suis bien embêté quand on me demande à quoi ressemble "We Carry On". Comment le décrire d'une façon fidèle ? C'est un morceau monstre, qui évoque autant les Silver Apples que Liars. Un mutant effrayant et agressif, à la marche implacable.
Mais si déroutant qu'il échappe longtemps à toute description.
Peut-être qu'il serait alors plus simple pour moi de commencer par la première image qu'il m'évoque.
"We Carry On" me rappelle Dancer in the Dark. Oui, le film de Lars Von Trier, avec Bjork.
C'est plutôt surprenant au premier abord parce qu'autant "We Carry On" est le morceau qui me sidère le plus sur Third (avec son faux jumeau "Machine Gun"), autant je déteste quasi-intégralement ce film (ces grosses ficelles ineptes, son interprétation outrée, son mélodrame faisandé (et vas-y que je te tape sur la tête avec le tiroir en pleurant, bouh-hou-hou)). Sauf une belle scène, celle où Bjork chante le morceau "Cvalda" : elle travaille à la chaîne dans son usine puis les divers bruit des machines qui percent et aplatissent et encastrent, s'organisent et se superposent petit à petit pour poser la rythmique du morceau à venir ; les bruits du quotidien, ceux qui témoignent directement de l'aliénation de l'individu sont justement ceux qui servent à Selma pour s'évader de cette réalité, à la transfigurer pour s'échapper dans une parenthèse enchantée.
Je repense régulièrement à cette scène, à ce morceau, parce qu'outre un début similaire, j'ai l'impression confuse que "We Carry On" pourrait en être la version inversée.
Une version plus sombre, en noir et blanc. Une version en négatif plus exactement.
Une version où on ne survit pas à la réalité en s'en échappant mais en s'y cognant jusqu'à l'os.
Une version qui n'illustrerait plus une comédie musicale mélodramatique mais un film cyberpunk furieux et à bout de souffle (et idéalement réalisé par Shinya Tsukamoto).

"We Carry On" me semble une version en négatif de "Cvalda" parce qu'elle ne cherche pas la ligne de fuite du problème mais cherche plutôt à en retranscrire toute la quintessence, jusqu'à l'abstraction : la déshumanisation par le quotidien, l'étouffement de l'individu qui cherche encore une raison d'avancer au milieu d'un environnement qui l'écrase toujours un peu plus.
Tous les rouages de "We Carry On", gigantesque machine à broyer, participent à cette entreprise de démolition : les sonorités industrielles (signal sonore ou autres cliquetis indéfinissables) séquencées sur une répétitivité Krautrock se superposent et s'agrégent pour former un cachot menaçant et claustrophobique. Chaque ajout ultérieur à cette mécanique exténuante (batterie martiale, partie de guitare dévastatrice) ne fera que renforcer un peu plus cette sinistre sensation d'inéluctable.
Enfermée en son sein, la voix de Beth Gibbons semble plus lasse que jamais, traînante, désemparée. Mais elle n'abandonne pas, elle continue, elle s'accroche, ou du moins garde encore l'espoir de trouver bientôt quelque chose auquel s'accrocher : "the taste of life".
Le tout fonctionne comme une machine à piston, qui répète toujours les mêmes mouvements, encore et encore, en réduisant votre espace vital un peu plus à chaque cycle, en vous assommant un peu plus à chaque tour.
C'est notre société moderne, et son travail de sape le plus sophistiqué. Notre quotidien et sa violence sourde la plus primaire.
Ça vous cogne, ça vous concasse, vous déchiquette, vous broie, vous pilonne, vous humilie, vous martèle, vous écartèle et vous terrifie.
Jusqu'à réduire le corps à l'état de pulpe, constellé de bleus. Jusqu'à amener votre volonté au bord de la rupture.
Mais tout le long de l'épreuve, un filet de voix ténu, une bride de conscience résiste aux chocs, une flammèche étincelante tel un phare dans la nuit. Et tout au bout de l'épreuve, la voix est toujours là et affirme tant bien que mal :
On continue.
On continue à vivre, malgré tout, malgré les coups.
On continue.
-(g.)
Olivier
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Message par Olivier »

la suite:
07. Deep Water.

Faisons une pause, veux-tu ? Asseyons-nous là. Ne prenons, pour cette fois, qu'un instrument, un petit instrument léger. Un ukulélé, tiens, nous n'avons jamais joué de ukulélé, jamais juste de ça.

Je n'aurai même pas à chercher des accords compliqués, juste à le gratouiller paresseusement. Attention, tu manges le micro. On dirait que tu as un peu trop fumé. Je crois qu'on a un peu trop bu aussi. On se laisse aller, Beth. On se laisse aller.

C'est presque la première fois. On pourrait presque s'arrêter là... (C).

08. Machine Gun.

Beat martial, roulements de tambour. Les colonnes avancent en ordre serré, masses de métal et de tripes liées ne laissant sur leur passage aucun prisonnier. Inexorablement, les bras s'abaissent à l'unisson, ne perdant jamais leur tempo rigide et robotique. Comme les visages sont cachés par des masques, on ne sait qui mène la charge et s'il reste une part d'humanité. Les clameurs des estropiés, à peine couverts par le fracas des armes, et les reflets que celles-ci laissent dans les yeux dissuadent de toute façon les curieux qui ont fui depuis longtemps (les fous qui sont venus trop près ne peuvent plus le regretter).

Puis dans le fracas des bottes et de leurs pas, s'élève une voix, celle d'une victime ou d'une survivante, celle d'une coupable ou d'une sacrifiée. Blanche et souffrante, elle monte, plane au-dessus des légions de mort. Les rythmes ne s'arrêtent pas pour si peu, ils accompagnent la complainte froide, l'entourent. La voix s'enhardit une nouvelle fois, adoptant la cadence des soldats, les suivant à distance. Puis elle reprend, pas rassurée mais encore là, résistante. Elle fait maintenant face aux colonnes qui avancent toujours du même pas, imperturbables.

Emportée par sa peine et ses regrets, elle ne les voit même plus, elle ne sent même pas les odeurs mêlées de métal chauffé et de sueur, de crasse et de sang. Elle ne sent même pas que les bras qui cognent les tambours la frôlent de plus en plus, caresses inamicales, préliminaires mortels. Aspirée par son chagrin, la voix ne réagit pas quand les frôlements deviennent des coups, quand les rangs de l'armée déferlent sur elle, imperturbables de régularité. Submergée, elle n'a pas le temps de crier ou de lancer un dernier appel au secours. Elle n'en a pas envie. Elle s'éteint simplement, comme elle s'était élevée.

Survient l'improbable, l'accident : les colonnes stoppent leur marche infernale. Non pour regretter leur geste ou la voix, simplement pour marquer davantage le rythme, l'accentuer jusqu'à la folie. Frappes sourdes et déraisonnables. De loin, on les croirait en train de danser autour de leur victime évanouie. Les machines ont gagné et fêtent leur nouvelle victoire. -(OB.)
olivier73
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Message par olivier73 »

Olivier cette chronique est très alléchante!

Vivement lundi! :D
delaney
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Message par delaney »

Mon dieu, comment c'est possible de réaliser ce genre de come-back!
Ce disque: j'en tombe sur le cul! :shock:
j'aurais jamais pensé écouter portishead avec encore autant de passion...
et plus c'est froid et violent, et meilleur c'est!
Eilraet
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Message par Eilraet »

Plus qu'un jour ^^, bon en fait je sais pas si j'irai le chercher dès demain mais ça ne saurait tarder, d'après ce que j'en ai entendu je pense que je vais préférer ce CD, déjà j'ai mis moins de temps à me "mettre" dans les chansons, après c'est p'têt aussi parce qu'à force je suis habitué à leur style suffisamment pas commun pour être génial ^^.
edogawa
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Message par edogawa »

Je l'écoute depuis samedi et je ne vais pas y aller par quatre chemins : chef-d'oeuvre absolu. Je suis vraiment bluffé. Au départ, je ne suis pas un grand fan de Portishead. Mais là, je m'incline. Clairement leur meilleur album pour moi. En fait ils se bonifient (je trouvais déjà le deuxième meilleur que le premier). Le quatrième album, en 2030, devrait être EXCEPTIONNEL! :D
edogawa
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Message par edogawa »

Décidément, je n'arrive pas à mettre autre chose depuis trois jours. Ce disque a un côté abrupt que j'adore. Je pensais pas que Portishead allait sonner un jour d'une manière si agressive. Mes titres préférés : "Hunter" (chant sublime), "The Rip" (étonnant titre aux sonorités presque kitsch par moments), "Plastic" (super sombre), "Magic Doors" (superbe mélodie, peut-être mon titre préféré) et "Threads" (ambiance terrible et superbe voix qui s'embarque, en fin de course, pour un trajet vers la dépression sans retour semble-t-il). Le reste est d'un très haut niveau également. Un seul bémol peut-être : "Machine Gun", je trouve que ce titre ne fonctionne pas trop.
Olivier
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Message par Olivier »

edogawa a écrit :Décidément, je n'arrive pas à mettre autre chose depuis trois jours. Ce disque a un côté abrupt que j'adore. Je pensais pas que Portishead allait sonner un jour d'une manière si agressive. Mes titres préférés : "Hunter" (chant sublime), "The Rip" (étonnant titre aux sonorités presque kitsch par moments), "Plastic" (super sombre), "Magic Doors" (superbe mélodie, peut-être mon titre préféré) et "Threads" (ambiance terrible et superbe voix qui s'embarque, en fin de course, pour un trajet vers la dépression sans retour semble-t-il). Le reste est d'un très haut niveau également. Un seul bémol peut-être : "Machine Gun", je trouve que ce titre ne fonctionne pas trop.
Etonnant ce que tu dis... Machine Gun, j'ai l'impression que c'est LE titre de l'album. C'est celui qui m'a marqué en premier en tout cas, le gros trip à chaque fois que je l'entends. Et en lisant des commentaires et autres chroniques sur le net, c'est, je pense, le titre le plus souvent cité (avec We Carry On peut-être.

De mon côté, c'est Deep Water que je ne capte pas et dans une moindre mesure Threads. Mais je sens que ce n'est qu'une question de temps...

Et pourquoi tu dis que The Rip a des sonorités presque kitsch? Je vois pas où tu entends ça. Les paroles peut-être un peu, mais les sons, j'ai pas entendu.

OFF-Topic :
Merci d'avoir changé ton avatar, le précédent était très laid :lol:
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