zphyr a écrit :Je comprends également les contres : mon compagnon estime que si l'on est homo, on est stérile par choix de vie et qu'il faut faire avec ce deuil d'enfant. lui est contre GPA et PMA.
Pour moi, cet argument n'est pas valide. Etre homosexuel n'est pas un "choix de vie", chacun ici sera d'accord là-dessus je pense (je m'étonne au passage de lire qu'un homosexuel puisse utiliser cet élément de langage), mais une réalité contraignante dans le désir, qui s'impose à l'esprit de façon inamovible. Je ne suis capable d'éprouver de désir sexuel que pour les corps masculins, en aucun cas (ou presque) pour des corps féminins. Il n'y a que les relations sexuelles avec un partenaire masculin qui à terme sont véritablement capables d'assouvir mon désir sexuel profond, et ne pas me faire souterrainement et irrésistiblement languir d'autre chose. Ce désir étant l'un des ingrédients de l'attirance et du sentiment amoureux, voilà pourquoi je ne forme de lien amoureux, de relation de couple, qu'avec des hommes.
On pourrait me répondre que je suis libre de quand même me mettre en couple avec une femme, et concevoir, et ainsi effectuer un choix entre deux désirs : le désir d'enfant (satisfait), et le désir sexuel (derrière l'oreille). J'imagine que ce scénario, doublé de la volonté de se couler correctement dans le moule social, a été emprunté antérieurement par plusieurs homosexuels.
Néanmoins, il ne me parait pas être une alternative souhaitable, ou légitime, au sens où ce sacrifice de désir n'est pas exigé ailleurs. Que fait la France aujourd'hui face au cas d'une femme tombant amoureuse et se mariant avec un homme stérile ? S'amuse-t-on à lui répondre qu'après tout, se marier avec lui était "un choix de vie", et que si elle veut des enfants elle n'a qu'à se doter d'un autre partenaire ? Non, l'Etat reconnait du même coup la légitimité de son sentiment amoureux (et la souffrance qui serait induite à s'assoir dessus pour trouver quelqu'un d'autre), et la légitimité de son désir d'enfant, en lui offre (selon critères de sélection, certes), la possibilité de dépasser la stérilité de son couple en procréant quand même, avec le recours de la médecine (don de sperme).
Les couples de lesbiennes demandent, via l'ouverture au don de sperme pour elles-mêmes, rigoureusement le même traitement, c'est tout : la reconnaissance par l'Etat du fait que leur sentiment amoureux et leur désir d'enfant peuvent être satisfaits en même temps, via l'intervention de la médecine.
Et ce que demandent les couples gays et les couples hétérosexuels où c'est la femme qui est stérile via des pathologies utérines ne diffère pas vraiment en termes de contenu, si ce n'est qu'effectivement, la technique médicale permettant de contourner leur problème de stérilité pose des questions éthiques plus complexes à démêler, mais qui sont démêlables quand même, qui tombent dans le champs de la délibération démocratique et qui appellent un débat et une réflexion, pas une disqualification immédiate sous couvert d'un jugement moral péremptoire (je ne dis pas que c'est ce qui a été fait ici, c'est ce que l'on observe globalement comme posture par la classe politique française).
Je me demande franchement s'il ne faut pas voir, dans cette posture de certains homosexuels anti-mariage et anti-techniques médicales de procréation, le résultat d'un processus de "
deuil de l'hétérosexualité" certes réussi mais finalement trop affirmé.
Marina Castañeda, dans son canonique
Comprendre l'homosexualité, parle avec une grande clarté de ce processus mental nécessaire lorsqu'on se découvre et s'accepte enfin comme homosexuel : la nécessité de procéder à un exercice de deuil des étapes normales et attendues, quasi "automatisées" du cycle vital standard : mariage, éducation des enfants, etc.
A l'époque où elle écrit son livre, être homosexuel c'est effectivement devoir faire sans toutes ces étapes structurantes et sources d'auto-légitimation ; il est nécessaire de refermer la blessure ouverte par l'absence patente de ces standards de vie, pour basculer vers un vécu épanoui et serein de sa propre condition d'homosexuel.
J'ai moi aussi très nettement procédé à ce deuil, juste après la lecture du livre, ça a été un très salutaire déclencheur. Je l'ai fait à 19 ans, et c'est vrai que je suis ressorti plus fort et serein de cette étape. Mais aujourd'hui, très justement, avec les progrès législatifs en cours et le changement de regard de reste du corps social, on peut tout à fait se demander si cette notion de "deuil" ne serait pas à dépasser : pourquoi faire le deuil du mariage si on peut finalement se marier ? Pourquoi faire le deuil des enfants si on peut finalement adopter ou procréer avec l'intervention d'un tiers et de la médecine ?
Il ne faut pas, en toute évidence, que ce travail mental de deuil, qui a été effectué à une époque où il était nécessaire, n'entrave la réflexion sur les progrès à réaliser afin qu'il ne soit plus, justement, nécessaire du tout. C'est con à dire, c'est peut-être de la psychologie de supermarché, mais c'est le genre de conditionnements intérieures qui creuse tellement loin dans la personnalité et l'inconscient que je ne doute pas qu'une fois qu'on a effectué ce travail avec sérieux et complétude 20 ans plus tôt, ça gêne sérieusement la réflexion.
Je voudrais finir avec un truc qu'il ne faut surtout pas prendre pour une pique ad hominem, car ça n'est pas le cas, même si c'est, indirectement, davantage en direction de la réflexion de ton compagnon, zphyr. Je souhaitais juste dire que je trouve un peu "gros" de tenir ce discours de la part de quelqu'un qui par son métier et surtout sa situation personnelle (compagnon rentré dans sa vie avec 2 enfants en garde partagée donc lui conférant mécaniquement à lui aussi une présence d'enfants et un rôle parental fort, même s'il n'a pas d'existence juridique) est effectivement en position d'avoir assez nettement assouvi tout désir éventuel d'avoir des gamins à éduquer dans sa vie. Tu ne me contrediras pas, je pense, si je te dis qu'il n'est pas souhaitable ni envisageable que tous les gays deviennent puériculteurs pour sublimer leur désir de paternité, ni que la possibilité de se mettre en couple avec un homme qui a déjà deux jeunes enfants soit une situation courante.
Je me permets de souligner ceci car je pense qu'il est important, pour mener correctement les réflexions sur ce thème, de ne surtout pas confondre sa propre situation avec le cas général. Là, lire cette phrase un peu péremptoire de ton compagnon, ça me fait un peu le même effet que lorsque j'entends mon père me dire "l'argent ne fait pas le bonheur, c'est pas grâce à ça que je suis heureux", quand certes il ne court pas du tout lui-même après le fric, mais que son métier de médecin lui procure un salaire hyper-confortable. Je lui réponds invariablement "tu n'en sais strictement rien, de l'argent, tu en as beaucoup !".