Chroniques : les génies méconnus de la pop music

La section des mélomanes mais aussi des fans de Farmer.
Kadjagoogoo
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Chroniques : les génies méconnus de la pop music

Message par Kadjagoogoo »

Bon, j'avoue que je savais pas trop comment intégrer au sein de cette section mon intention d'évoquer certains musiciens gagnants à être (re)découvert, alors je propose ce topic un peu bâtard dans lequel on pourrait présenter ces fous géniaux qui n'ont pas su correctement gérer leur carrière/succès, ou qui ont été victime d'un scandaleux oubli populaire.
Ce topic prétend pas les faire (enfin) passer à la postérité mais bon, p'tet que qqes memebres plus curieux que d'autres y trouveront matière à s'enthousiasmer. :wink:

Commencons avec un groupe jouissif, hélas seulement "connu" (tu parles, Charles : qui connait vraiment leur nom - imprononçable, d'ailleurs :roll: ) pour avoir accouché d'une (géniale) chanson qui est donc devenue l'arbre cachant la forêt.

Dexys Midnight Runners : le combat purificateur
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La femme, accompagnée de son mari, s’approche fébrilement de celui qu’elle vient manifestement de reconnaître :
- Je tenais à vous dire que c’était, à mon mari et moi, notre chanson préférée.
Kevin Rowland, à qui s’adresse ce compliment, acquiesce poliment, puis reprend le cours de l’interview qu’il donne à un journaliste en ce jour de 1999.
Tout le « drame » des Dexys Midnight Runners est résumé dans cette scène : n’être aujourd’hui reconnu que pour une seule et unique chanson, cela malgré une œuvre globale qualitative et ambitieuse. Et si la chanson en question, Come on Eileen, lui a offert un tube immense à travers le monde (elle sera notamment n°1 aux USA en avril 1983), Rowland ne s’est jamais véritablement remis du succès et de la portée universelle de ce morceau.
Il faut dire qu’en sortant, en cette année 1999, l’album My beauty (superbe recueil de reprise de chansons romantiques des années 60/70) qui est l’objet de l’interview qu’il donne ce matin là, Kevin Rowland signe à cette occasion un retour inattendu dans l’actualité musicale. On le disait en effet « fini », perdu pour la musique, depuis qu’il saborda, au milieu des années 80, le formidable « groupe » (plus proche, en réalité, de la secte politico-religieuse que du groupe de rock) dont il était le chanteur et la tête pensante, les Dexys Midnight Runners.
Mais reprenons le cours chronologique normal de cette étonnante histoire, si symptomatique du chaos qui habite l’un des musiciens les plus innovants et fascinants que la pop music ait connu.

Un trajectoire chaotique
Rowland grandit à Birmingham, quitte l’école 15 ans et sa famille à 17 pour vagabonder à travers le nord de l’Angleterre, excerçant successivement les emplois de terrassier, ouvreur dans un cinéma, gérant d’un magasin de chaussures, puis coiffeur. D’abord enthousiasmé par le mouvement punk, il sera vite déçu par ceux qui, selon lui, « ont reproduit la même insincérité qu’ils croyaient combattre ». Désirant élaborer une plate-forme politico-esthétique pour un groupe dont la mission serait de changer le face du rock en Grande-Bretagne, il prend conscience qu’il lui faut s’inspirer d’une autre musique pour poursuivre son combat purificateur. Ce sera donc la soul américaine des années 60, celle d’Otis Redding, Aretha Franklin, Sam & Dave, afin de précipiter la mort d’un rock devenu creux et autosatisfait.
C’est ainsi que naissent en 1979 les Dexys Midnight Runners, recrutés par petites annonces et dont le nom se réfère à la Dexédrine, une amphétamine populaire dans les discothèques qui permet à ceux qui l’utilise de tenir en dansant toute la nuit (on voyait d’ailleurs régulièrement aux portes des nightclubs anglais des gens venir danser avec des sacs de sports et des serviettes-éponges !). Le groupe se discipline et développe un esprit de corps en s’entraînant collectivement à la course de fond. Il vole son équipement et fracture des entrepôts pour répéter.
Dexys est engagé pour assurer la 1ère partie des Specials au cours de laquelle il est remarqué et signé par l’ancien manager de The Clash.
Leur 2ème single, Geno, une déclaration d’amour aussi étrange que passionnée à un second couteau du rhythm’n’blues, Geno Washinton, impose Dexys : avec ses accents de fanfare, la chanson exerce une séduction immédiate, tout en sonnant comme l’hymne d’une secte étrange. Elle reste n°1 en Angleterre plusieurs semaines d’affilée. On découvre alors un groupe aussi puissant que singulier, appuyé par une section de cuivres martiale, dont émerge la voix gonflée de souffrance et de dégoût de Rowland, qui évoque sensiblement Johnny Rotten des Sex Pistols. Kevin déclarera d’ailleurs que le dernier bon disque de rock qu’il ait écouté était Anarchy in the U.K. des Sex Pistols – 3 ans plus tôt -, et qu’à part ça tout est à brûler, ce qu’il confirmera dans Burn it down ! (ce qui signifie « Tout ça au feu ! ») qui ouvre le 1er album du groupe, Searching for the young soul rebels, sorti en 1980.
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Ce disque à un son très original : la musique est une scrupuleuse re-création du son soul des Studio Stax, qui sert admirablement la voix nue et désespérée de Kevin Rowland.
Mais les Dexys est un projet protéiforme désirant se démarquer de tout ce qui l’entoure, dont l’aspect visuel n’est pas laissé en reste : inspiré par le film Mean streets de Martin Scorsese, Rowland demande à ses musiciens d’apparaître en cabans, vestes de cuir et bonnets de laine, de lourd sacs de voyage à la main.
Animé par une rage singulière, Rowland vole les bandes de son propre album avant sa sortie, cherchant ainsi à excercer un chantage sur EMI afin de percevoir un taux de royaties plus avantageux. Le groupe se fait adopter lors de sa tournée par un public de skinheads avec lequel Kevin est souvent amené à s’expliquer physiquement.
Mais tout le succès acquis est immédiatement remis en cause : Rowland se sépare de tout son groupe (ne gardant avec lui que le tromboniste) au motif que ses musiciens ne sont pas assez sincères ni suffisamment pénétrés de sa vision. Le point de vue de ceux-ci est quelque peu différent : pour eux, Rowland est à moitié fou, il veut fonder un parti politique et les contraindre à jouer d’autres instruments que les leurs.
Rowland recrute alors de nouveaux Dexys, dont une jeune violoniste classique rencontrée à un arrêt d’autobus. Passionné par l’exemple du chanteur Irlandais Van Morrison (dont il va d’ailleurs reprendre le Jackie Wilson said), il décide d’habiller toute sa troupe en clochards-gitans, avec des sandales et salopettes élimées (subtilisées dans un entrepôt), et de leur faire jouer pipeaux, fifres et accordéons dans l’esprit du folklore irlandais. Si le un 1er 45 tours, The Celtic soul brothers connaît un succès mitigé, le suivant, Come on Eileen, crée la surprise et propulse le groupe sous les projecteurs des médias. L’album Too-rye-ay (1982), produit par l’équipe qui a fait le succès de Madness, traduit avec un bonheur exceptionnel la vision de Rowland : tantôt entraînante, tantôt mélancolique, la musique est pleine de ferveur, et la voix théâtrale et exaltée de Kevin fait merveille. S’ensuit une tournée triomphale en Europe, à la fin de laquelle le groupe se sépare, la musique passant provisoirement au second plan dans la vie de Rowland.
Fin 1985, Dexys renaît à nouveau de ses cendres. Refusant plus que jamais le confort d’une situation acquise, Rowland reprend tout à zéro. Plus animé que jamais par un puritanisme fanatique, il choisit pour son groupe, désormais réduit à 4 personnes, une « anti-image » provocatrice : 4 sinistres employés de banque en costume 3 pièces. Il refuse également de sortir le moindre single de son déroutant album Don’t stand me down, qui prend les apparences d’une quête insatisfaite. Rowland cherche, tâtonne, échange, comme dans un gospel, questions et réponses avec son guitariste, bataillant contre son impuissance, parvenant parfois à trouver, comme dans une trouée de lumière, l’apaisement d’une mélodie sublime comme Knowledge of beauty. Le pathétique de cette lutte a une beauté particulière qui donne à ce disque incompris une intensité exceptionnelle. La tournée qui s’ensuit (où Rowland semble absent, chantant même avec une certaine nonchalance) connaît, à l’instar du disque, un échec retentissant, précipitant la fin du groupe.
Dès lors, nous n’aurons quasiment plus de nouvelles de Kevin Rowland (hormis une déconcertante tentative de retour en solo en 1988 sous la forme d’une country music sans âme et délibérément banale, dont l’échec sera immense). On apprendra par la suite qu’il passe la majeure partie de ces années d’ombre dans la souffrance existentielle d’une dépression nerveuse, restant des semaines entières alité et coupé du monde.
Endetté jusqu’au cou, il enregistre en 1993 quelques maquettes pour un album qui ne verra finalement jamais le jour.
Il ne réapparaîtra donc au grand jour qu’en 1999, avec la sortie du magnifique My beauty (que j'écoute au moment où j'écris ces ligne _ ça inspire ^^' ), qui, malgré son indéniable réussite artistique, se soldera par un nouvel échec commercial.

Intransigeant et imprévisible, Rowland fait aujourd’hui tristement figure d’un de ces grands empêchés du rock, à la manière de Brian Wilson des Beach Boys ou de Lee Mavers des La’s. Un éternel insatisfait.

(la rédaction de ce texte s’est faîte sous haute influence de la chronique de Michka Assayas dans son essentiel Dictionnaire du Rock.)

J'espère qu'edogawa et d'autres passionnés de musique (et d'histoire !) ici présents auront à coeur de nous faire découvrir leurs héros déchus (pas forcément dans un format aussi indigeste, hein :lol: ).
Dernière modification par Kadjagoogoo le dim. juil. 31, 2005 7:18 pm, modifié 1 fois.
Fade Out
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Message par Fade Out »

Ah oui quand même :D

Kadjagoogoo et Edogawa, quand est-ce que vous nous écrivez Le dictionnaire de toutes les musiques du XXème et XXIème siècle

Michka Assayas... je l'écoutais chez Bernard Lenoir il y a quelques années, j'adorais ses chroniques. Par ailleurs il a écrit un excellent roman, Exhibition, en dehors de son bien connu dico.
edogawa
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Message par edogawa »

Joli Kadja! Je connais assez peu Dexy's finalement a part le premier album que j'aime bien. J'essayerai de participer à ce sujet.
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